Madère, août 2001
(par Frédéric Moutarde)

 

Je ne suis pas un bon parapentiste, et ne le serais probablement jamais. Ce n’est pas ce que je cherche. Je cherche seulement à passer de bons moments et mes vols en ont toujours été. C’est tout ce que je souhaite à ceux qui me comprennent.

Quant aux autres à jamais, dans l’ombre de la pesanteur, qu’ils veillent et attendent !

Madère est une petite île d’environ 50 km par 20, orientée est-ouest au large de l’Afrique occidentale. Elle est balayée par des vents dominants du nord. Ses côtes sud sont assez bien protégées, et sujettes à des constances thermiques intéressantes.

Nous sommes la veille de notre départ, de notre retour en France. J’ai décidé de refaire un vol, le dernier sur cette île qui, je dois dire, nous a réservé pas mal d’heureuses surprises.

Je décolle du site de Magdaléna do Mar, juste à côté du gîte de mon pote Artmut le teuton qui tient une école de parapente. L’année passée, il a volé 340 jour, c’est dire qu’il est peu délicat de trouver des occasion sur cette île ! Le site de décollage est beau, tout simplement. J’ai lu sur le Net que c’était un des plus beau de l’île. Mon avis est qu’ils sont tous plus beaux les uns que les autres ! Celui-ci est une simple petite pente face à la mer avec le coucher de soleil à sa droite. La mer est proche – 100 m, guère plus – mais elle est 400 m plus bas, nous sommes en haut d’une falaise, l’île en est bordée, une falaise face au sud, au soleil qui chauffe les roches qui transmettent ces précieuses calories à l’air … vous voyez ce que je veux dire ?  

Sur le Net, ils limitaient ce déco aux volants expérimentés. Cela m’avait un peu refroidi pour ma première d’il y a 15 jours. Je ne suis pas expérimenté, guère plus de 150 vols, j’essaye d’être prudent, c’est tout. Il est vrai que lorsqu’on passe la barre, qu’on se retrouve au dessus de l’à-pic, il vaut mieux avoir l’aile au dessus de soi. J’ai décollé de ce site une bonne douzaine de fois et je dois dire que je n’y suis jamais passé en courant au sol. L’aile m’a toujours porté après un ou deux pas, tellement les thermiques sont présents et surtout verticaux. Le site se trouve presque sur une pointe, orientée sud, c'est à dire avec toutes les caractéristiques pour en faire un confortable ascenseur à parapente !

Je tourne de suite vers ma gauche, vers la pointe où se trouve le petit restaurant typique, il faut dire « estalagem » en portugais. Je ne m’éloigne pas trop du relief, juste ce qu’il faut. Ça monte encore mieux. Je suis pratiquement de suite en +2. C’est bien pour le site où en général les nombreuses ascendances sont rarement très fortes. Cela permet de partir dans de bonnes conditions pour faire une transition. Il faut simplement patienter pour faire le plein d’altitude. Quelques 8 pour passer au dessus du relief, c’est parfois long. Patience. En milieu d’après midi, l’estalagem est bondé. Une belle aile bleue tatouée « Bol d’Air », même en français, langue que beaucoup pratiquent ici, ça se remarque ! Et hop, le premier 360 que je dédie à mon amie Katia. Nouvelle parapentiste, son école (parisienne) ne lui en laissait jamais faire ! Elle a fait son premier tour complet dans les Vosges, avec moi dans le sillage. Sympa. C’est toujours un bon souvenir, le premier 360 !

Je sais qu’Anne Marie est déjà sur la plage, 5 ou 600 m plus bas, en train de buller au soleil, un verre de Vinho Verde à portée de  main… et la radio allumée, du moins j’espère !

A 600 m, je décide de passer la petite vallée direction Est pour retrouver d’autres falaises. La transition est tranquille, l’air est d’un calme ! Il vient de la mer, se réchauffe tranquillement et monte, il est vrai un peu moins au milieu des vallées, mais on ne perd presque rien. Ensuite, encore un peu de gratte falaises, toujours pour passer le relief. J’ai des petites barbulles au-dessus de moi. Je sais que je vais encore monter et qu’il me suffit pour cela de trouver le bon plan, c'est à dire le bon ascenseur. J’ai le choix : ça monte de partout, et calmement pour une fois. Il est vrai que près des falaises, lorsqu’on passe une avancée, ça secoue parfois. Là, rien, tranquille, ça monte. Quelques 8 encore pour passer la barre et je tourne. Le vario bipe plus fort cette fois. Il me dit + 3 ; en milieu d’après midi, le soleil a bien tapé. Et ça monte. Allez, nouveau 360, pour Philippe cette fois, le mari de Katia, qui a enfin pigé après une demi-douzaine de vols qu’on pouvait s’asseoir dans la sellette ! C’est bien de voler dans les Vosges, on apprend des trucs ! Mais qu’est ce que c’est que ces instructeurs parisiens ! M’étonne pas qu’il y en ai qui abandonnent le vol si on leur enseigne ce genre de confort !  

Bref, ça monte. Je retrouve mes 700 m. Je me promène sur la crête, toujours vers l’Est. Les posés possibles ne sont pas foison. Le coin est très escarpé, il y a des cultures partout, vignes ou bananiers, sinon des habitations et beaucoup de fils électriques en tapis qui rendent le posé impossible. Les seules et rares solutions sont les plages, au creux des criques, mais là aussi souvent très difficiles d’accès, car encadrées par d’autres falaises. Les attéros sauvages, à Madère, ça prend la tête ! Et ils sont rares, c'est à dire qu’il faut sans cesse avoir le suivant dans la tête avant d’abandonner le précédent. C’est classique, mais ici, je dirais que c’est souvent vital pour rester en harmonie avec l’univers. Alors je calcule. Quand on ne sait pas, il faut compter. J’estime l’air et l’aire. Jusqu’ici, ça a toujours marché, je me retrouve toujours avec une bonne marge au posé. C’est bien.

Cela fait une bonne heure que je vole. J’ai du faire une petite demi-douzaine de km. C’est peu, je sais, mais c’est beau. Et les record, moi, vous savez ce que j’en pense ! J’ai passé l’âge de tous ces trucs là. J’ai toujours de la marge en dessous de moi, et le Vinho Verde me laisse tranquille, pas de souci avec les toilettes ! Je dois vous avouer que lorsque je vole, je bois peu, alcool ou pas. Et puis même, ne vous inquiétez pas, c’est un vin à 10° guère plus, très comparable à notre Edelswicker, le parfum en moins mais le léger pétillant en plus. Bref, j’ai le temps, alors pourquoi ne pas pousser un peu vers Carbo Girao ? Hein, pourquoi ?

Carbo Girao, c’est la deuxième plus haute falaise du monde direct dans la mer. 650 m ! Orientée droit vers le sud, ça doit monter ! Aujourd’hui, ce n’est pas mon objectif. Je n’ai jamais d’objectif stratégique, je prends comme ça vient, seulement la tactique du vol. Alors on continue. Je bigophone à Anne Marie avant que les falaises ne gênent la communication. Ça la réveille, je dois vous avouer que le Vinho Verde à un petit effet soporifique. C’est bien pour la sieste. « Je suis au-dessus de Ponta do Sol » que je lui dis, je continue vers Foufunchal ! », la capitale de Madère. J’ai de la marge. Les vols sont fabuleux sur cette île. J’avais lu des choses sur le rallye de Madère dans Parapente Mag. Mais il n’y a rien à faire, même si les raconteurs ont du talent, et ils en ont sinon je ne serais pas là, les récits et les photos ne sont rien comparés à ce que j’ai sous les yeux. Il faut y aller !

Les falaises sont tellement droites, faites de roches en forme de capteur solaire qui posent des montes parapentes réguliers et bien propres que c’est un plaisir de vérifier les caractéristiques de son aile. On s’en éloigne un peu et, sans turbulence aucune, on retrouve un air marin stable comme dans un gymnase. On pourrait lâcher les freins et faire son courrier ! On se remet près des montées pour reprendre les mètres perdus dans les habituels jeux de vol amusants, et c’est reparti !

Il est presque 5 heures de l’après-midi. Je vole depuis plus de trois heures. C’est mon dernier vol de Madère, je sais, mais quand même, il faut bien qu’il ait une fin. Penser à l’attéro. Depuis un posé un peu scabreux – petit vent dans le dos – devant un de mes instructeurs, je soigne particulièrement mes approches (on dira que sa présence m’avait déconcentré, faut bien trouver une excuse, pardon Pierre Yves !). Il faut soigner ses approches. On ne soigne jamais assez ses approches. Une bonne approche est une approche soignée. Bref, cela fait quelques temps déjà que les bronzés du dessous ont repéré mon Bol d’Air bleu tourner et retourner au dessus de leurs têtes. Je sais comme ils l’ont compris que c’est leur plage qui me servira d’attéro. Je l’ai bien en tête, avec le petit village de Ribeira Brava qui bloque la vallée. Avec les fils partout, ce n’est même pas la peine de penser à poser sur le petit – trop petit vu d’ici – terrain de foot ; poteaux d’éclairage, grillage et estrades pas glop. Je n’ai que la plage, et il faudrait faire une approche au-dessus du village, avec tous ses fils électriques et effets de sol, car l’air vient bien sûr de la mer. Finalement, j’opte pour une courte PTU, première branche de la mer, un peu comme d’habitude dois-je avouer.

La plage ne fait pas 100 m de long, pour une vingtaine de large à peine. Elle est faite de galets de différentes taille, souvent assez gros, comme la plupart des plages de l’île. Il faut de bons mollets pour y marcher. Vu d’ici, elle me semble tomber de façon assez abrupte dans la mer. Elle ne descend pas vraiment progressivement et doucettement dans l’eau. Il ne faudra pas poser les pieds dans l’eau, avec les vagues et le ressac, tout le reste y passerait. Mais ce n’est pas ce qui me pose problème. En fait, je ne vous l’ai pas dit, mais nous sommes dimanche, et le dimanche, qu’est ce qu’on fait quand on ne vole pas à Madère ? Et bien on va à la plage ! Elle est bondée, bête détail qui peut aussi fa            ire la différence entre le paradis et l’enfer. le paradis tient à peu de choses en parapente. Et je dois avouer que la perspective de poser en vrac dans tous ces corps allongés au soleil freine un peu mes élans et détourne mon attention des belles callipyges qui doivent nécessairement en faire partie. La madérienne est très callipyge. Concentration Fred. Concentration. Je vise un petit espace qui n’abriterait pas un couple d’amoureux et je commence mon dernier alignement. Je joue des freins pour ajuster le tir. L’air est calme, comme d’habitude. Je ne vois pas les têtes qui se tournent à mon approche. L’ombre de ma Bol d’Air doit écourter des siestes. Je me lève dans la sellette. Concentration, il y a du monde. Pour le moment, ça va.

Finalement, arrondi, et je pose. Pile poil où je visais. Je ne gêne personne. Il a un bol le Fred, un vrai Bol d’Air ! Je garde l’aile au-dessus de moi, je dois encore parcourir quelques mètres pour la poser entre deux petits bâtiments de plage, pas facile dans les galets. Et hop, je fais tomber la chenille couleur de ciel ! C’est ce que j’appelle un attero à la « Blues Brothers », et bien sûr, sous les applaudissements de toute la plage ! Si j’avais pensé une seconde que tant d’yeux me regardaient, sûr que mon posé aurait été catastrophique ! Tous les mômes du coin sont déjà autour de moi, à toucher l’aile, savoir comment ça vole, vouloir m’aider… Il est vrai qu’à côté de leurs parents en petites tenues, l’allure du parapentiste casqué, botté, harnaché et greffé d’électronique (faut rien exagérer, un vario, une radio et une boussole pour les vols du matin dans la brume), ça insolite méchamment !

Anne Marie me récupère. C’est elle qui conduira jusqu’à l’hôtel. J’en ai assez fait aujourd’hui… Vous savez bien, vous qui volez, ce qu’on a dans la tête après un vol fabuleux n’est ce pas ?

Au fait, mon aile, c’est une Boléro, une simple sortie école, et je n’ai pas l’intention d’en changer de si tôt, sinon la même !

 

Frédéric MOUTARDE.

moutardef@free.fr